Melting popotes, une bonne recette pour apprendre : de la participation des usagers au sein des médiathèques

La médiathèque de la Monnaie est implantée dans le quartier éponyme, à l’Est de Romans (Drôme),  zone urbaine sensible (ZUS) de près de 4 500 habitants. Depuis 1989 cette ZUS est toujours présentée comme le quartier le plus pauvre de Rhône Alpes avec les indicateurs de précarité élevés. De nombreux dispositifs sont mis en place dans le cadre de la politique de la ville : dispositif de réussite éducative, réseau d’éducation prioritaire qui permettent d’associer tous les acteurs éducatifs et sociaux.

C’est une véritable  dynamique partenariale qui opère sur ce quartier : nombreuses rencontres, réunions, concertation auxquelles participent de nombreuses structures : centre social municipal, maison citoyenne (ancienne MJC), ludothèque, des éducateurs de prévention, des habitants relais, des correspondants de nuit, des adultes référents en lien avec les écoles.

Pour la médiathèque, la fonction sociale s’impose par son implantation. Il lui faut inventer pour diversifier son public, pour survivre et sortir du ghetto, travailler hors les murs pour aller chercher le public, se faire connaître, être là où on ne nous attends pas.

Le travail en partenariat se situe bien au delà du partage financier :  plus en terme de compétence, de métier, de connaissances partagées du public. Le travail hors les murs : sur les pelouses, en tricycle (photo), présence sur le marché, dans les cantines scolaires sur le temps méridien, permet de rencontrer le public potentiel dans un cadre éloigné des règles habituels de fonctionnement d’une bibliothèque (bruit).

Mais il y a aussi une  nécessité de rendre les locaux attractifs et de faire une offre documentaire dans laquelle le public se reconnaisse. Il faut aussi libérer des espaces afin de faciliter la convivialité : espace où il est possible de s’installer pour discuter, lire le journal en buvant un café, des espaces de rencontres. Permettre aux usagers d’investir les lieux.

Un atelier cuisine                                                              

Michel Onfray est notre premier ingrédient  :  avec son université populaire du goût, il invite le public à rencontrer des grands chefs pour parler de leur passion et préparer leurs spécialités. Un moment où les personnes de toutes conditions sociales se retrouvent autour de la gastronomie.

Le lien avec les femmes reçues dans les cours de français organisés par la Maison citoyenne et fréquentant le médiathèque apparaît évident. Le principe : des femmes du quartier, d’origines diverses, apprennent aux participants de l’atelier à cuisiner comme dans leur pays.

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BLINTCHIK, CRÊPES À LA VIANDE HACHÉE

Depuis 2008, sur un rythme mensuel, des groupes d’apprentis cuisiniers (hommes, femmes et ados) se retrouvent autour d’une ou deux cuisinières pour élaborer un repas du monde. Le samedi matin dans la cuisine de la maison citoyenne, c’est l’effervescence autour du thé à la menthe et des plats qui vont être réalisés ! A midi chacun repart avec une portion du repas préparé. Le dernier atelier de l’année se termine par un repas partagé.

Les apprentis cuisiniers sont tous extérieurs au quartier, les cuisinières toutes du quartier : un bel exemple d’échanges, de mise en valeur des différentes cultures et de mixité sociale.

Les actions dérivées  (non prévues mais qui se sont imposées)

Face à toute cette matière, véritable réservoir de recettes du monde,  un blog s’est imposé pour permettre au plus grand nombre d’utiliser ces recettes. Ce blog reçoit un bon nombre de visites.

Au cours de tous les ateliers des photos des gestes et des mains des femmes en réalisation culinaire ont été prises, les légendes sont écrites par les femmes à la médiathèque. Une exposition de ces photos a eu lieu à la médiathèque et a eu un grand succès auprès des habitants du quartier et  de l’extérieur.

Et quoi de mieux qu’un livre pour présenter ces ateliers au plus grand nombre et pour enrichir les fonds des médiathèques ? L’occasion aussi de recueillir les témoignages des cuisinières, de les remettre en forme et de les intégrer au livre. Publié aux éditions Ardhome, un éditeur installé dans le quartier, la réalisation du livre a été  financé par le CUCS : contrat urbain de cohésion sociale (3200€, 195 exemplaires).

Le lancement officiel du livre a eu lieu en présence d’officiels, d’usagers de la médiathèque et des habitants du quartier autour d’un très grand goûter gourmand. Un livre à été offert à chaque cuisinière. Les livres  sont vendus dans les librairies locales, dans les médiathèques, à la maison citoyenne et sur le site de l’éditeur. La médiathèque offre un livre aux auteurs qu ‘elle reçoit tout au long de l’année.

Et la médiathèque ?

Cette action a donné une visibilité à l’équipement bien au delà du quartier : le blog, la cartorecettes, l’expo photo… Le blog est très visité ! Il renvoie toujours aux livres de la médiathèque, sur les livres de la médiathèque une étiquette renvoie toujours au blog… La cartorecettes du blog renvoie aussi aux documents de la médiathèque. Le numérique est au service des collections et les collections sont au service du numérique.

Les effets sur le public

Les femmes sont venues pour elles, pour voir leur production, pour se retrouver, pour se souvenir de leur expérience commune à la médiathèque, lieu qu’elles fréquentaient avec leurs enfants surtout. C’est la découverte que la médiathèque peut être un lieu accessible pour elles.

Les échanges conviviaux les confortent ; elles ont leur place dans le lieu puisqu’on y trouve des livres qu’elles connaissent (recettes de cuisine, livres sur leurs pays…) et qu ‘elles sont actrices du lieu. Le personnel leur semble plus accessible, elles ont partagé des moments conviviaux ensemble.

Le livre réalisé par les cuisinières est un vrai symbole : c’est un livre pour tous, lecteurs et non lecteurs ; la médiathèque devient un lieu de mise en valeur, de reconnaissance et non plus d’exclusion sociale. Ce travail draine et tisse des liens bien au delà des participantes : ce qui est bon pour les mamans l’est aussi pour les enfants, les amis, les voisins…

La mixité sociale opère dans le lieu : enfants, ados, des mamans,  adultes extérieurs au quartier se retrouvent  dans ou autour de l’action. En utilisant les compétences propres aux habitants du quartier on anime le lieu, on ouvre la médiathèque, on permet aux usagers de trouver une vraie place dans cet équipement.

La recette du succès : une belle idée, une bonne dose de partenariat, un soupçon d’aventure, beaucoup de liberté, un peu d’argent, une envie de travailler ensemble, quelques kilos de souplesse au travail, des tonnes de convivialité, un doigt d’humour, une bonne louche de patience ; faire mijoter à feu doux, distribuer, transmettre, échanger et multiplier.

La fête des langues (qui est l’aboutissement de l’heure anglaise)

l’histoire des drapeaux à travers le monde

Depuis une dizaine année, la médiathèque accueille une personne d’origine anglosaxonne pour animer un temps d’histoires, de comptines en anglais histoire de se familiariser à d’autres sonorités et d’autres cultures. En parallèle, la médiathèque développe un fonds assez important d’albums en anglais mais aussi en turc, en arabe, en italien, en espagnol, en allemand… Le choix de l’anglais n’est pas innocent : il permet de « deghettoïser »  le quartier par la langue. En effet de nombreuses familles extérieures au quartier assistent régulièrement à l’Heure Anglaise et fréquentent ainsi la médiathèque de ce quartier.

La fête des langues est une extension de l’heure anglaise . C’est une animation annuelle, elle ouvre la scène des histoires aux parents d’origine étrangère. Et qu’elle richesse que d’entendre, de découvrir, des histoires en russe, arabe, turc, vietnamien, wolof… Les  parents sont au cœur de l’action, ils sont sur scène, visibles. Ils font la fierté des enfants, du public qui voit sa culture mise à l’honneur. Il y a une grande « indulgence des spectateurs » : on est face à des amateurs qui partagent leur culture. Ce ne sont pas des pros, il y a  beaucoup de simplicité lors de cette animation au bon sens du terme. L’après-midi se termine par un goûter partagé : chacun apporte une spécialité.

Par les langues comme par la cuisine, on fait passer son identité, sa culture. C’est là l’essentiel.

L’équipe de la médiathèque de la Monnaie

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