Tour de veille — février 2024

Actualités

La santé mentale : un sujet encore trop peu évoqué dans la société mais dont les bibliothèques universitaires et autres s’emparent peu à peu. Ce sujet a hélas pris une ampleur sans précédent lors de la crise sanitaire qui a renforcé la solitude ou l’exclusion de nombreux usagers des bibliothèques et a renforcé la précarité dont souffraient déjà un certain nombre d’étudiant·es. C’est le sujet qu’aborde la journaliste Lauren Bastide dans son nouveau podcast intitulé « Folie douce » qui aborde les troubles psychologiques dans une nouvelle série d’entretiens.

titre du podcast : folie douce

Bibliothèques

Zoom sur Les L’un.es : Une bibliothèque féministe, queer et inclusive en Ardèche. Portrait d’une bibliothèque itinérante en milieu rural, dans les alentours d’Aubenas en Sud Ardèche. Elle s’est créée autour de l’envie d’une personne, dans un premier temps, de faire circuler les idées politiques et féministes de sa bibliothèque.

Multiculturalisme

#BlackHistoryMonth

Le mois de février est aux États-Unis le Black History Month, soit « le mois de l’histoire noire » en français. Proposé par l’historien africain-américain Carter G. Woodson et institué depuis 1926, cette période vise à remettre au centre de la recherche universitaire et du débat public les études noires étasuniennes.

A l’occasion du Black History Month, ce podcast permet d’aborder les liens entre la construction du concept de race et le développement du capitalisme, d’observer comment, aux États-Unis, artistes et militantes noires ont su réinventer l’anthropologie, de s’interroger sur les cow-boys noirs et sur cette armée noire dans le désert pendant la Seconde Guerre mondiale.

Sexisme, féminisme et masculinités

  • Qui connaît, ou se souvient de Rose Valland? Conservatrice de musée et résistante française. Clandestinement, et au péril de sa vie, elle a sauvé près de 45 000 œuvres du pillage des nazis, un pan encore méconnu de l’histoire de la seconde guerre mondiale. C’est aussi une pièce de théâtre, au théâtre de la Boussole en ce moment à Paris.
affiche de la pièce de théâtre Rose Valland
  • Découvrez le rapport du HCE de janvier 2024 sur l’état des lieux du sexisme en France : « s’attaquer aux racines du sexisme ». On lira qu’il y a encore une marge de progression, car «le sexisme commence à la maison, continue à l’école et explose en ligne».
  • « Être un bon homme ». Romain de Becdelièvre enquête sur les masculinités contemporaines. Quels sont les corps, les discours, les inquiétudes et les modèles des hommes aujourd’hui ? Des chercheurs, des artistes et des penseurs esquissent les formes du mâle.

LGBTQI+

La dépénalisation de l’homosexualité, l’autre grand combat de Robert Badinter. Avec l’abolition de la peine de mort, ce fut l’autre grand combat de Robert Badinter : la dépénalisation de l’homosexualité, votée le 27 juillet 1982, et le 4 août 1982, la loi Forni portée par la rapporteure de la commission des lois, Gisèle Halimi.

Nos suggestions

La relecture sensible : censure ou apport constructif ? Voici un éclairage pour vous faire une idée à travers cet article réalisé à la suite d’une journée d’étude en juin 2023.

Quelle place pour l’inclusion à la conférence de l’IFLA ?

La conférence de l’IFLA qui s’est tenue cet été à Rotterdam (Pays-Bas) a été marquée par de très vives discussions autour des questions d’inclusions et de lutte contre les discriminations. Ces thèmes étaient très présents dans les différentes sessions (notamment les questions de décolonisation des collections et les questions d’archives LGBTQI+ : nous aurons prochainement l’occasion d’en reparler) mais aussi est surtout dans les discussions de couloir au sujet de la conférence 2024 dont la ville hôte choisie est Dubaï.

Ce choix s’explique principalement par une volonté de l’organisation de mieux inclure les membres issu.es des pays du Sud global. Le Congrès se tient en effet depuis maintenant des années dans des villes du Nord, ce qui crée une importante barrière économique pour les collègues du Sud, barrière encore renforcée par le durcissement récent des politiques de visa des pays du Nord. Après un appel à candidature ayant obtenu relativement peu de réponses, c’est donc Dubaï que le Conseil d’administration de l’IFAL a choisi comme ville hôte de la conférence 2024. C’était, selon l’IFLA, la seule ville candidate à offrir toutes les garanties nécessaires à la bonne tenue d’un congrès qui peut réunir jusqu’à 4000 collègues..

L’annonce de cette décision au printemps a suscité de nombreuses critiques, les organisations membres pointant les importants problèmes écologiques et de respect des droits humains des Émirats. Ces critiques se sont encore renforcées lorsque Dubaï a précisé que conformément à sa législation, il ne serait pas possible de faire apparaître les questions LGBTQI+ au programme du congrès. De mémoire de bibliothécaire, c’est la première fois qu’une ville hôte intervient de cette façon dans le programme de la conférence ! Comment l’organisation doit-elle répondre à cet acte de censure ?

Très vite, une ligne de fracture assez nette est apparue au sein de l’IFLA entre, d’une part, globalement les membres issus de pays libéraux du Nord qui considèrent qu’accepter les conditions de Dubaï serait créer un dangereux précédent alors que l’organisation a mis la défense de la liberté d’expression et de l’accès à l’information au coeur de son engagement, et, d’autre part, les membres issus de pays défavorisés du Sud qui estiment que l’IFLA doit tout faire pour permettre à des collègues avec des profils plus diversifiés d’accéder au congrès.

A plusieurs reprises, le Conseil d’administration de l’IFLA a ainsi reconnu que cette exclusion des questions LGBTQI+ et, de fait, des collègues LGBTQI+ de la conférence était un problème, mais a considéré qu’il était largement compensé par la plus grande accessibilité de la conférence à des collègues qui en étaient généralement exclu.es pour des raisons politiques, juridiques ou économiques. Cette rhétorique a été largement dénoncée par le groupe d’intérêt spécial « Usagers LGTBQI+ » de l’IFLA.

Beaucoup de membres ont regretté ou ont été choqués que le Conseil d’administration de l’IFLA ait structuré cette discussion sur cette opposition binaire entre l’inclusion des collègues issu.es du Sud et l’inclusion des questions LGBTQI+. Opposer ainsi entre elles des minorités discriminées est une stratégie qui fait reculer l’inclusion.

Légothèque a depuis son origine essayé de construire une réflexion intersectionnelle qui ne hiérarchisait ni n’opposait les différents motifs de discriminations et notre commission ne peut que regretter la façon dont les discussions se déroulent actuellement au sein de l’IFLA.

Reste aujourd’hui à espérer que le nouveau Conseil d’administration qui a pris ses fonctions à l’Assemblée générale de Rotterdam trouvera comment sortir de ce conflit destructeur et comment refaire de l’IFLA une fédération unie autour des valeurs de la liberté d’expression, de l’inclusion et de l’accès de toutes et de tous à l’information.

Iran : femmes, vie, liberté

Nous connaissons hélas ce triste slogan à l’oeuvre en Iran, où depuis plusieurs mois une répression inouïe fait rage (plus de 475 personnes, dont 64 enfants, tuées depuis le 16 septembre et 18742 personnes arrêtées et passibles de peine de mort fin 2022). Le point de départ est l’arrestation, le 13 septembre, de Jina Mahsa Amini par la police des mœurs à Téhéran, car à ses yeux elle ne portait pas assez strictement son voile, imposé par la République islamique à toutes les femmes du pays.

Le mouvement de contestation lié à son décès brutal se poursuit, se transforme, plus inventif que jamais, dans un contexte de violence extrême où le régime a exécuté des femmes et des hommes qui avaient juste manifesté.

Ce site a été créé par un collectif de bibliothécaires, d’acteurs et d’actrices de la culture mobilisées pour rendre visible la révolution féministe, sociale, sociétale et culturelle en cours en Iran.

Il propose de soutenir le mouvement contestataire en cours en adressant dessins, slogans, photos sur le thème « Femme, Vie Liberté » à : mailto:femmevieliberte@mailo.com par exemple ou sur la page Facebook « Femmes Vie Liberté ».

Les hashtags (#) à utiliser sont les suivants :

#Femmevieliberté

#Womanlifefreedom

#ZanZendegiAzadi

#mahsaamini #mahsajinaamini

Des suggestions de textes à illustrer sont également proposées.

En fin, actuellement, de nombreuses institutions culturelles collent des affiches « Femme – Vie – Liberté » en soutien à la lutte des femmes pour la liberté en Iran, comme devant le Palais de Tokyo à Paris par exemple.

Cycle multilinguisme « Ta langue me parle »

Après une année d’ouverture (rénovation complète de la bibliothèque), l’équipe de la bibliothèque François Villon a souhaité proposer au premier trimestre 2023 un projet qui fait sens sur le territoire du 10e : proximité de la bibliothèque avec des quartiers Politique de la Ville, diversité linguistique et culturelle d’une profonde richesse : Chinois, arabe, dari, pachto, somali, swahili, wolof, soninké…

Petit retour en arrière : avant sa fermeture pour travaux fin 2019, l’équipe de la bibliothèque a élaboré progressivement un maillage dense et actif avec les associations culturelles et socio-linguistiques du quartier, ainsi qu’avec les différents services institutionnels. Ce travail de longue haleine s’est poursuivi pendant les travaux ce qui a permis de maintenir la programmation culturelle du deuxième semestre 2021 qui a pu se tenir en très grande partie hors les murs.

Les bibliothèques municipales de Paris élaborent leurs grilles d’action culturelle de manière semestrielle, en lien avec le Bureau des Bibliothèques et Bibliocité, et alternent participation à des temps forts réseau et actions locales, en prise directe avec les réalités du territoire. C’est donc en 2022 qu’est née progressivement la volonté dans l’équipe de construire un projet qui permettrait d’associer les associations et partenaires du quartier. A l’issue d’un vote au sein de l’équipe, c’est la thématique « Multilinguisme » qui est sortie du lot. Dès la réouverture le 18 janvier 2022, les contacts avec les associations socio-linguistiques ont permis d’accueillir un certain nombre de groupes : adultes, familles…

De janvier à mars, la bibliothèque François Villon, avec la Maison de quartier Aires 10, l’association Français Langue d’accueil, et l’association Dulala (D’une langue à l’autre) pôle national de ressources et formation sur le bilinguisme et l’éducation plurilingue, vont proposer une série de rendez-vous incitant au nécessaire apprentissage des langues dès le plus jeune âge. Comment appréhender et découvrir les différents langages qui nous entourent ? Langues d’ici et d’ailleurs mais aussi langue des signes nous permettant d’aller à la rencontre de l’Autre, des Autres.

Vous trouverez ici le programme détaillé des animations proposées et une bibliographie sélective. Les activités proposées sont variées : ateliers d’éveil aux langues, rencontre d’auteur, projections, joute de traduction, atelier d’écriture.

Classification sans discrimination : osons l’adaptation !

Savoir-faire emblématique du métier de bibliothécaire, l’organisation et la classification des collections sont également porteuses d’enjeux sociaux forts : comment certains sujets sont-ils mis-en-avant au détriment d’autres ? Comment les thèmes sont-ils articulés entre eux ? L’esclavage est-il plutôt une question de discrimination ou un élément central de l’Histoire ? L’avortement est-il un droit fondamental, une question médicale ou un « problème société » ? L’homosexualité est-elle une « maladie mentale » ? Les religions judéo-chrétiennes sont-elles vraiment les seules à mériter des sous-classes précises ?

Sous leur prétention à l’universalité et à la neutralité, les grands systèmes de classifications des bibliothèques véhiculent ainsi beaucoup d’éléments idéologiques contestables. Conscientes de ces enjeux, de nombreuses bibliothèques ont commencé à « aménager » leur classification et à proposer une organisation de leurs collections plus conforme à leur positionnement général : inclusif, décentré, non discriminatoire.

A l’occasion du congrès 2023 de l’Abf, la commission Légothèque souhaite mettre en valeur (et en discussion !) ces différentes initiatives et proposer des approches alternatives de la classification en bibliothèque.

Si votre établissement a adapté la Dewey ou la CDU pour mieux répondre à certains enjeux sociaux, cette initiative nous intéresse !
Écrivez-vous et partagez avec nous votre expérience.

Affiche pour le salon du livre jeunesse afro-caribéen. On voit un homme noir jouer de la musique, aux côtés de deux enfants noirs assis, qui l'écoutent.

Salon du livre jeunesse afro-caribéen

Du vendredi 25 au dimanche 27 novembre dernier s’est déroulé le salon du livre jeunesse afro-caribéen à Clichy. Cette neuvième édition a été l’occasion de retrouver éditeur·ices et auteur·ices après un passage par le distanciel suite au covid. Musicien·nes, artisan·es, cuisinier·es, associations et libraires étaient également au rendez-vous sur ce salon dont la thématique était « Contes, mythologies et légendes afro-caribéennes » ; avec un tel sujet, les spectacles étaient également à l’honneur.

L’édition jeunesse se pose de plus en plus la question des représentations : autour du sexe et des stéréotypes des personnages principaux, mais également autour du handicap, des attirances romantiques, et de la couleur de peau. Une étude de 2018 aux États-Unis avait ainsi décompté plus de personnages principaux animaux dans les livres pour enfant que de personnages, noirs, asiatiques, latinos ou natifs réunis. De telles statistiques n’existent pas en France, mais la question se pose également.

Graphique montrant la diversité des représentations des héros dans les livres pour enfant en 2018 : 
1% natifs américains
5% latinos
7% asiatiques
10% africains
27% animaux et autres
50% blancs

On commence à prendre mesure de l’importance de la représentation et d’offrir aux enfants des personnages positifs auxquels ils peuvent s’identifier. La parole des concerné·es aidant à porter une représentation plus juste sur les problématiques rencontrées dans la vie quotidienne, à travers ce que les anglophones appellent le « own voice », on voit tout de suite l’importance d’un salon tel que celui du livre jeunesse afro-caribéen. Cette question de l’identité a ainsi été traitée en partie au cours d’une conférence donnée par Ayo édition, Contes et construction de l’identité.

Les différent·es acteur·ices de la littérature afro-caribéenne étaient donc présent·es à Clichy pour faire porter leur voix, notamment l’association Diveka, que nous avions accueilli lors d’une table-ronde sur la diversité dans la littérature jeunesse au salon de Montreuil de 2018. La liste complète est disponible sur les réseaux sociaux D’un livre à l’autre, notamment sur leur page Instagram, sur laquelle vous pourrez découvrir les différentes maisons d’édition, auteur·ices et illustrateur·ices invitées.

Pour aller plus loin au sujet du own voice, la Booktillaise a rédigé un article sur le sujet et vous pouvez retrouver une petite bibliographie (plutôt axée young adult).