Présentation de Becky Chambers

Aujourd’hui nous vous proposons de partir à la découverte de Becky Chambers, autrice LGBTI+ américaine, influencée par la culture geek et pop : ses premiers pas littéraires ont été dans le monde de la fanfiction. Elle écrit de la science-fiction résolument positive et optimiste, infusée de féminisme et de lutte contre les discriminations en général.

Ainsi, ses personnages sont queers, racisé·es, handicapé·es, … et principalement des femmes. Mais si dans le futur lointain qu’elle décrit, tout ceci n’est plus tout à fait sujet aux discriminations, Becky Chambers met tout de même en avant des personnages en dehors de la norme de leur époque, dans la tradition de la science-fiction comme métaphore sociale. Humains en relation avec des aliens, clones illégaux, intelligences artificielles en recherche de corps, le parallèle est vite tissé avec la société depuis laquelle elle écrit.

De manière générale, ses textes sont centrés sur ses personnages, laissant de côté les grandes aventures spatiales épiques, même si les critiques selon lesquelles « il ne se passe rien » sont largement exagérées.

Couverture d'Apprendre, si par bonheur. Dessin d'une planète lointaine, vers laquelle se dirige un petit vaisseau spatial

Becky Chambers a écrit un roman indépendant, Apprendre si par bonheur (Atalante, 2020), une porte d’entrée rapide et poétique sur son écriture. On y suit quatre astronautes qui voyagent dans l’espace pour la beauté de la science. Leur but ? Apprendre, si par bonheur ils découvraient de nouvelles formes de vie extra-terrestres ! Sans but productiviste, sans volonté d’innovation (fusse-t-elle utile à l’humanité), simplement visiter, observer, comprendre. L’humanité est lointaine, en arrière-plan, et si l’autrice ne fait pas table rase des guerres, du dérèglement climatique, et de toutes les crises que nous allons traverser, elle nous propose un monde où l’espèce humaine est parvenue à les dépasser.

Sa série des Voyageurs (Atalante, 2016-2023), en quatre tomes indépendants – mais avec des personnages récurrents, lisez-les plutôt dans l’ordre ! – se passe au sein de l’Union Galactique. Alliance d’espèces aliens, l’Union vient d’intégrer les humains, malgré les réticences : comment une espèce qui a détruit sa propre planète pourrait-elle rester en paix avec des cultures et des façons de vivre littéralement aliens ? Au gré des volumes, les points de vue se multiplie. On suit un vaisseau chargé de créer des trous de ver pour voyager à grande distance, avec un à son bord un équipage hétéroclite ; l’intelligence artificielle de ce vaisseau, qui a décidé de s’installer dans un corps charnel, de manière illégale ; les habitants des vaisseaux rescapés de la terre, curieux de comprendre comment vivre sur une planète ; des aliens, coincés contre leur gré dans un motel galactique lors d’une crise de communication. Un ensemble bariolé, joyeux mais mélancolique, dont on ne voit pas passer les pages.

Couverture de l'Espace d'un an, tome un de la série des Voyageurs de Becky Chambers. Une immense planète est dessinée en arrière-plan dans le ciel. A l'avant, un vaisseau est en train d’atterrir sur un sol rocailleux.
Couverture d'Un psaume pour les recyclés sauvages, tome un de la série Histoires de moine et de robot. Un chemin est dessiné, parcourant la couverture. En haut, un robot observe des papillons. En bas, une personne boit un thé à l'arrière d'une carriole.

Sa dernière publication, Histoires de moine et de robot (Atalante, 2022-2023), est une duologie extrêmement courte, mais que nous conseillerons à des lecteurs qui se seraient déjà frottés à la plume de Becky Chambers. Poétiques, contemplatifs, philosophiques, il s’agit de romans doux et réconfortants. Dex, moine à la vocation en questionnement, quitte les routes pour rechercher un ermitage oublié. Alors que les robots avaient disparu depuis leur indépendance, l’un d’entre eux rencontre Dex sur son chemin, et lui pose la question : « De quoi avez-vous besoin ? ».

Outre plusieurs nouvelles, Becky Chambers a également co-écrit un roman non traduit en français, avec Yoon Ha Lee, SL Huang et Rivers Solomon (dont nous vous avions brièvement parlé dans un billet de 2021 sur la transidentité dans la littérature adulte). Elle a confirmé que la série des Voyageurs était belle et bien terminée, et travaille actuellement sur un nouveau roman sur lequel assez peu d’infos ont été données jusqu’ici. Mais nous l’attendons avec impatience !

13e Colloque « Lutte contre les violences faites aux femmes » – Strasbourg 14 novembre 2023

Santé des femmes – se reconstruire

L’Eurométropole de Strasbourg, avec sa Mission droits des femmes et égalité de genre, et le partenariat de plusieurs associations, a organisé le 14 novembre dernier son 13e colloque de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, la thématique était « Santé des femmes – se reconstruire », avec la présence comme grande témoin de Pınar Selek, sociologue et militante franco-turque.

L’édition précédente avait eu pour thème la pornographie. Celle-ci avait été mouvementée, car elle s’était organisée sans la voix des premières concernées. Des travailleuses du sexe étaient donc intervenues en amont et pendant le colloque – et l’organisation avait fait savoir pendant la clôture que ces remarques seraient prises en compte pour les éditions suivantes. Cette année, la thématique était plus neutre, choix unanime des associations partenaires.

Violences conjugales et violences sexuelles – des problèmes de santé publique ?

Alice Debauche, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université de Strasbourg et codirectrice de l’ouvrage Violences et rapports de genre – enquête sur les violences de genre en France, a commencé son intervention par un historique de la prise en compte des violences conjugales et sexuelles en tant que problématique de santé public.
Ce sont les mouvements féministes des années 70 qui ont mis ce problème sur le devant de sa scène, mais la réponse politique a été avant tout judiciaire. La question de la santé et de la reconstruction restait cantonnée à la sphère militante. Ce n’est qu’à partir de 79, avec les grandes conférences internationales, notamment organisées par l’OMS et en 1996 par l’ONU, que des engagements ont été pris par la France dans ce sens également. En 2002, un rapport mondial sur la violence et la santé a été publié par l’OMS, qui définit la violence surtout par ses conséquences sur les victimes, ce qui occulte la dimension politique des violences systémiques. L’ONU de son côté évoque cette dimension politique dans sa définition des violences faites aux femmes.
En France, une enquête a été publiée en 2000 sur les violences faites aux femmes, qui traitait des liens entre violence et santé. Cette étude a été l’une des premières à changer d’angle sur ces violences, et à en faire une représentation plus vaste que uniquement les violences physiques et morales : y sont évoqués le harcèlement, le contrôle, etc. En 2015, l’enquête Virage a été réalisée par l’Ined (institut national d’études démographiques), traitant des violences et rapports de genres – à la fois chez les hommes et chez les femmes.

Toutes ces enquêtes et rapports montrent un lien fort entre les violences subies par les femmes et leur état de santé, à la fois physique et mental. La question de la corrélation et de la causalité est toutefois toujours floue : subit-on plus de violences parce qu’on est en mauvaise santé, notamment à cause du validisme et du capacitisme, ou bien est-on en mauvaise santé à cause de ces violences ? Il semblerait que les deux hypothèses puissent être vraies. Il y a cependant des biais assez forts qui concernent ces études, notamment le biais du survivant (on n’interroge que les femmes qui ont survécu aux violences subies), mais aussi le biais de représentation (ce sont des femmes adultes qui parlent par exemple des violences qu’elles ont pu subir pendant leur enfance). La question de l’intersectionnalité est bien présente pour analyser les violences conjugales et sexuelles, puisqu’à l’instar du handicap, l’orientation sexuelle est un facteur de violence supplémentaire au sein du couple (notamment des femmes bi en couple avec des hommes hétéro).

Dans tous les cas, la place des soignant·es est extrêmement importante, et leur manque de formation est un frein pour la détection et la prévention des violences faites aux femmes. Il n’y a pas de politique de repérage systématique, ce qui serait pourtant un outil efficace.

Prendre soin de façon bien-traitante : mieux comprendre les liens entre les violences vécues ou en cours et la santé globale

Pascale Hoffmann, professeure en gynécologie-obstétrique, a créé le premier diplôme universitaire pour les soignant·es traitant de la « Prise en charge des violences faites aux femmes : vers la bientraitance ». Elle rappelle que 90% des violences touchent des femmes – y compris de la violence symbolique et la négligence. En 1998, une étude aux Etats-Unis sur les maladies cardio-vasculaires a révélé une forte corrélation entre état de santé et violences : il y avait de forts liens entre de multiples expériences négatives pendant l’enfance et les résultats de santé, physique ou mentale, ainsi qu’avec des risques de comportements addictifs.

Ces traumatismes, qu’ils aient lieu pendant l’enfance ou à l’âge adulte, se résolvent en général de deux façons : soit avec du stress aïgu, et un retour à la normale en maximum 6 semaines, soit avec un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Ces SSPT se manifestent par de nombreux symptômes, y compris de l’évitement, des désordres cognitifs, de l’hyper-vigilance, des insomnies, de l’irritabilité, et même une augmentation des risques de maladies auto-immunes.

La place des soignant·es est également une grosse problématique sur le sujet : les formations se développent difficilement, ces questions sont peu évoquées pendant la formation initiale. Il faut également penser à la réaction des soignant·es qui recevraient de nombreux témoignages difficiles, et faire de la prévention concernant leurs propres risques de traumatisme.
Il existe également un blocage psychologique à la bientraitance parmi les soignant·es, et les arguments en faveur de la bientraitance sont les suivants : faire prendre conscience et faire alliance avec les femmes victimes, « rassurer le corps » de ces dernières, qui réagit parfois même quand l’esprit n’a pas conscience d’être dans une situation de violence.
Pour tendre vers la bientraitance, il existe des solutions efficaces pour les soignant·es : se former, faire du dépistage systématique, lutter contre les violences systémiques dans la médecine, avoir une position physique et théorique particulière en direction des femmes, et favoriser l’empouvoirement de ces dernières.

Violences et santé : pour une approche pluri-disciplinaire, féministe et intersectionnelle

Cette table-ronde, animée par Anna Matteoli, directrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Bas-Rhin, a réuni trois associations : Parole sans Frontière, représentée par Myriam Cayemittes, Solidarité Femmes 67, représentée par Thomas Foehrlé et Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, représentée par Victoria Niare et Chantal Rialin.

Parole sans Frontière

L’association a été créée en 1991, et propose un suivi dans la langue des migrant·es et exilé·es qui sont en souffrance mentale. Actuellement en France, il n’y pas de prise en compte des problèmes psychologiques dans l’accueil des migrant·es.
Deux approches existent au sein de la structure : de la psychothérapie institutionnelle et de la psychiatrie transculturelle. Dans les deux cas, tou·tes les acteur·ices de l’association ont leur place, des secrétaires aux éducateur·ices, mais aussi interprètes et évidemment soignant·es. Dans 80% des cas, l’accueil se fait avec un·e interprète. Si l’association accueille inconditionnellement un public mixte, il existe une vigilance accrue pour la prise en charge des femmes, car elles sont plus vulnérables et exposées que les hommes.

Solidarité Femmes 67

Créée dans les années 70, SF67 lutte contre les violences faites aux femmes grâce à des hébergements, un accueil de jour, des formations et des espaces de réflexion. Thomas Foehrlé met en garde contre les discours qui réduiraient les violences faites aux femmes à une simple question de santé publique : c’est également une question d’émancipation, et une prise en compte du systémique.

La question du milieu rural est importante pour SF67 : il y a une impunité des agresseurs du fait des cercles sociaux réduits et des communautés soudées, et la situation rurale augmente les risques de violences : 47% des féminicides ont lieu en milieu rural. L’isolement, le manque de mobilité et d’accès aux services publics, les revenus, le statut et le soutien social, l’éducation, etc. sont des facteurs de risque supplémentaires.
Pour lutter contre ces violences, SF67 forme les professionnels de santé de premier recours sur le repérage des femmes en situation de violence. C’est une formation qui reprend l’historique de la notion, évoque les stratégies et les cycles de violence, la question de l’emprise, et casse les mythes sur les violences faites aux femmes. Outre ce volet historique, la formation est également très concrète : prévention primaire, secondaire (quand les premiers signes de violence sont apparents) et tertiaire (même s’il ne s’agit plus de prévention à ce stade). Il ne s’agit pas forcément d’obtenir des réponses directement, mais de laisser une porte ouvertes.

Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir

L’association a été créée en 2003, pour promouvoir la citoyenneté des femmes en situation de handicap. Les femmes handicapées étant plus isolées, ayant des difficultés de transport, et ayant des temporalités différentes, sont plus à risque de subir des violences. Ce sont les études sur le sujet qui ont permis d’élaborer des actions particulières envers les femmes en situation de handicap, pour amener ces dernières jusqu’aux soins. Aux problématiques pré-existantes, les violences ajoutent des troubles supplémentaires : SSPT, problèmes de dos, surdité, etc. Les violences étant souvent le fait des aidants eux-mêmes, il y a une double peine et d’autant plus de difficultés à être indépendante.

Une ligne d’écoute Violence a été mise en place en 2015, où sont redirigés les appels effectués au 3919 par des femmes handicapées. L’association propose également des permanences (juridiques, psychologiques, sociales, d’écrivains publics, etc.) et des ateliers de reconstruction : yoga, informatique, langues, art-thérapie, sophrologie, etc. Une prise en charge spécifique en fonction des handicaps est nécessaire : on n’accueille pas une femme sourde comme on accueille une femme aveugle.

L’offre de soin pour les femmes victimes de violences : enjeux et actions des professionnel·les

Cette table ronde, animée par Priscilla Bur, sage-femme et coordinatrice de l’Unité d’accueil et d’écoute des victimes de violences (UNAVI) aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a réuni trois structures : SOS France Victimes 67, représentée par Cédric Balland, la Maison des Femmes de Saint-Denis, représentée par Ghada Hatem-Gantzer et les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, représentés par Nadine Knezovic.

Un rappel rapide a été fait : si seulement 13% des victimes de violence se tournent vers les forces de l’ordre, elles sont 24% à se tourner vers du personnel soignant.

SOS France Victimes 67

Cette association accompagne des victimes qui ont porté plainte dans leur parcours de justice : deux tiers des personnes qui s’adressent à elle sont des femmes. Pour faciliter l’accès aux soins et atténuer les freins possibles – notamment l’isolement, le manque de moyens, la phobie sociale, la dépression, le handicap, la garde des enfants, etc. – SOS France Victimes 67 a mis en place un dispositif nommé Psy-mobile. Il s’agit d’un service de psychologue à domicile pour les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes. En plus de ce dispositif, l’association propose de l’hébergement, de la mise en lien avec des avocats, mais également des téléphones grave danger.

Pour améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, le principal frein est le manque de moyens financiers pour embaucher du personnel juridique, social et de soin.

Maison des Femmes de Saint-Denis

La Maison des Femmes propose un parcours de soin pour les femmes victimes de violences : elle accueille en moyenne 80 femmes par jour. Trois grands axes sont proposés par la structure : un parcours de soin et de reconstruction contre les violences conjugales et intrafamiliales, un parcours de santé sexuelle (planning familial) et un parcours concernant les victimes de mutilations sexuelles.

La Maison des Femmes prend également en charge des enfants, à la fois par du soin psy et de la garde, réalise des soins psychocorporels, organise des groupes de paroles, des formations, des ateliers, des permanences (administratives et judicaires), accompagne aux dépôt de plainte, etc. Il y a également un centre d’hébergement de 35 places pour les femmes entre 18 et 25 ans, pour leur permettre de reprendre pied avec le quotidien.

Pour améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence, le principal frein est le manque de moyens financiers, mais également la lenteur de la justice, et l’absence de formations des policiers.

Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Le service de gynécologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont inscrit dans leur projet médical la lutte contre les violences faites aux femmes. Le personnel soignant se forme avec Solidarité Femmes 67, et pratique le dépistage systématiques des violences. Les prises en charge sont également modifiées pour prendre en compte le consentement et d’autres approches bientraitantes. Bien que les violences obstétricales ne puissent être éradiquées, elles sont régulées aux maximum.
Le service a également mis en place des lits de répit, c’est-à-dire un hébergement de quelques jours pour des personnes en grave danger de violences – en grande majorité des femmes mais pas uniquement.

A l’instar des deux autres structures, le principal frein à l’amélioration de la prise en charge des femmes victimes de violence reste le manque de moyens, pour ouvrir des lits mais surtout pour embaucher du personnel soignant.

Iran : femmes, vie, liberté

Nous connaissons hélas ce triste slogan à l’oeuvre en Iran, où depuis plusieurs mois une répression inouïe fait rage (plus de 475 personnes, dont 64 enfants, tuées depuis le 16 septembre et 18742 personnes arrêtées et passibles de peine de mort fin 2022). Le point de départ est l’arrestation, le 13 septembre, de Jina Mahsa Amini par la police des mœurs à Téhéran, car à ses yeux elle ne portait pas assez strictement son voile, imposé par la République islamique à toutes les femmes du pays.

Le mouvement de contestation lié à son décès brutal se poursuit, se transforme, plus inventif que jamais, dans un contexte de violence extrême où le régime a exécuté des femmes et des hommes qui avaient juste manifesté.

Ce site a été créé par un collectif de bibliothécaires, d’acteurs et d’actrices de la culture mobilisées pour rendre visible la révolution féministe, sociale, sociétale et culturelle en cours en Iran.

Il propose de soutenir le mouvement contestataire en cours en adressant dessins, slogans, photos sur le thème « Femme, Vie Liberté » à : mailto:femmevieliberte@mailo.com par exemple ou sur la page Facebook « Femmes Vie Liberté ».

Les hashtags (#) à utiliser sont les suivants :

#Femmevieliberté

#Womanlifefreedom

#ZanZendegiAzadi

#mahsaamini #mahsajinaamini

Des suggestions de textes à illustrer sont également proposées.

En fin, actuellement, de nombreuses institutions culturelles collent des affiches « Femme – Vie – Liberté » en soutien à la lutte des femmes pour la liberté en Iran, comme devant le Palais de Tokyo à Paris par exemple.

La rentrée littéraire vue par Légothèque

Une rentrée littéraire foisonnante et très riche, qui permet aux bibliothécaires de Légothèque de vous proposer un focus à travers les thématiques qui nous tiennent à cœur au sein de notre commission de l’ABF : construction de soi, racisme, préjugés, invisibilisation des femmes ou de minorités.

Stardust / Leonora Miano

L’auteure se penche sur sa propre histoire, qu’elle parvient à exprimer avec sa rage, sa conscience politique. Sa vie de jeune mère la conduit à croiser d’autres destins de femmes rencontrées dans des centres d’hébergement précaires. Loin des clichés sexistes convenus, elle ne cache rien des difficultés, des tensions, et du découragement qui l’ont traversée durant ces années difficiles.

La ligne de nage / Julie Otsuka

La piscine que décrit la narratrice, c’est un microcosme où un rien fait dérailler la mécanique bien huilée des habitudes. Le personnage principal perd la mémoire, et ce naufrage progressif auquel nous assistons nous tient en haleine car l’auteure y distille savamment des éléments sur l’origine japonaise de son personnage : elle fait état avec tact et sensibilité des préjugés, du racisme qu’elle a connus plus jeune avec sa famille.

Tenir sa langue / Polina Panassenko

Un premier roman vif et enlevé : une langue inventive, malicieuse, et surtout une réflexion sur la culture, l’identité qui se construisent par strates et apports successifs, notamment par les langues. Brillant, drôle et profond!

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent / Maria Larrea

Un premier roman à la veine autobiographique très forte sur la quête de ses origines : secrets de famille, flash-back et temps présent confèrent toute sa force à ce récit où transparaît toute la tendresse de l’auteure pour ses parents, immigrés espagnols cabossés par la vie.

La revanche des autrices / Julien Marsay

Une enquête historique et littéraire autour de l’invisibilisation des femmes dans l’écriture.

La dissociation / Nadia Yala Kisukidi
L’autrice n’est pas étrangère à la Légothèque puisque nous avions parlé de
Dialogue transatlantique avec Djamila Ribeiro, qui faisait un tour d’horizon de la
pensée féministe noire entre Europe, Afrique et Amérique du Sud.
Nous la retrouvons pour son premier roman, La dissociation. On y suit une jeune
femme noire qui a cessé de grandir à l’âge de 10 ans, nous ne connaîtrons pas
son nom. En revanche, elle partage avec nous tous les recoins de ses errances
imaginaires : l’héroïne bénéficie du don de dissociation, et peut s’extraire du réel
pour voyager dans un autre monde. Fuyant la folie de sa grand-mère, nous la
suivons dans ses aventures, rencontres et dans ses notes, qu’elle prend
scrupuleusement. De la folie comme point de départ à la fuite et à la tentative de sortir de cet
enfermement, l’héroïne rêve d’une « utopie de l’Indépendance ». Et son autrice
d’ajouter que « la violence du monde ne nous assèche pas systématique », elle
permet parfois un foisonnement de l’imagination.


Cocoaïans / Gauz
L’auteur de Debout payé et de Black Manoo revient avec un court texte
d’économie politique de la fève de cacao. Il retrace son histoire comme une
illustration de la domination occidentale sur les pays d’Afrique. Il redonne voix aux
acteurs de la résistance ivoirienne face à cette conquête blanche. L’auteur conclut sa
démonstration par l’idée d’une Afrique qui se réapproprierait ses cultures, ses
terres, ses moyens de production et qui mettrait fin à sa domination capitaliste et
coloniale.


Diaty Diallo, Deux secondes d’air qui brûle, Seuil

Dans ce premier roman, d’une langue imagée à l’oralité, Diaty Diallo nous campe
un décor d’amitiés, de béton et d’envies furieuses de vivre. L’autrice aborde les
questions de violences policières, avec la voix d’Astor dont le frère a été tué par
« les gens en bleus » lors « d’une soirée tranquille. Presque chiante ». L’histoire
ne s’arrête pas au meurtre, mais en déplie les conséquences et fait la généalogie
d’une colère sourde qui mène à l’insurrection.

Colloque Lutte contre les violences faites aux femmes : les droits des femmes à l’épreuve des crises

La ville de Strasbourg a organisé par la ville le 23 novembre dernier son colloque annuel sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, c’était le covid qui a inspiré la thématique, Les droits des femmes à l’épreuve des crises. En effet, comme rappelé à de nombreuses reprises par les intervenant·es lors de la journée, la crise du covid a dégradé la situation des femmes : violences économiques, puisque de nombreux métiers de « première ligne » sont essentiellement féminins, et que dans les couples hétérosexuels, ce sont elles qui se sont occupées des enfants confinés ; violences physiques et morales, comme on a pu le constater avec l’augmentation des signalements pour violences conjugales (40% lors du premier confinement, 60% lors du deuxième). 

Ce colloque a été organisé par la ville de Strasbourg, en partenariat avec de nombreuses associations : le planning familial, SOS femmes solidarité, Ru’elles, la Cimade… Mais également Osez le féminisme et le Mouvement du nid. La présence de ces associations implique des discours abolitionnistes, transphobes ou racistes – qui ont été entendus lors des précédentes éditions du colloque. Cette année cependant, la parole était globalement plus mesurée, et certains sujets n’ont pas du tout été abordés (transidentité, voile, …)., au contraire de l’abolitionnisme. 

Leçons féministes d’une crises / Najat Vallaud-Belkacem

Pour Najat Vallaud-Belkacem, la crise du covid a eu un impact fort sur la place des femmes, notamment dans les pays pauvres où les femmes sont moins indépendantes et plus précaires : l’absence de compte bancaire signifie l’impossibilité de recevoir des aides financières ; la privation de nourriture et de soins au profit des hommes augmente les décès maternels et néonataux ; la fermeture des écoles fait augmenter les grossesses non désirées – surtout précoces -, les mutilations génitales et les violences dans leur ensemble. De plus, les métiers du soin donné à autrui (souvent appelés métiers du care), bénévoles ou salariés, sont souvent réalisés par les femmes, qui sont donc les premières à tomber malade – et à subir l’ostracisation. 

Les plans de relance internationaux oublient souvent les femmes : à l’ONU par exemple, le plan  global ne possède aucun alinéa à leur sujet. Seul le fonds de l’ONU sur les populations évoquent cette problématique.

Najat Vallaud-Belkacem évoque ensuite le harcèlement en ligne : les femmes en sont les premières victimes, quel que soit leur bord politique. Elles sont donc nombreuses à quitter les réseaux sociaux, ce qui fait encore baisser la place des femmes dans l’espace public. 

État des lieux : crise sanitaire, quelles menaces pour les droits des femmes en Europe ? / Amandine Clavaud

Amandine Clavaud présente les menaces sur les droits des femmes en tant de crise comme un problème circulaire. En effet, elles sont absentes des différentes instances qui font de la gestion de crise : dans les médias, plans de relance, instances d’aide à la décision,… fait baisser leur état de santé : santé mentale, risque de violences, manque d’accès aux droits sexuels et reproductifs, etc. En plus de cela, l’articulation des temps de vie avec les tâches ménagères et le télétravail crée une précarité économique et sociale, ce qui explique leur absence dans la gestion de crise.

Femmes providentielles mais femmes invisibles et sous payées / Rachel Silveira

Avec la crise du covid, la société se rend compte du rôle essentiel des femmes notamment avec les métiers du care : on se souvient des applaudissements lors du premier confinement pour les soignant·es, même la plupart de ces métiers sont toujours dévalorisés. Pour Rachel Silveira, « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur leur utilité commune.» 

Pourquoi revaloriser ces métiers ? Il ne s’agit pas uniquement d’augmenter les salaires, mais aussi de reconnaître le travail des femmes.
Comment le faire ? En appliquant la loi de 1982 : à travail égal, salaire égal. Mais il faut aller plus loin : à travail de valeur égale, salaire égal. Le management est aujourd’hui de plus en plus valorisé, quand les métiers de service et de soin le sont de moins en moins.

Il faut une reconnaissance des diplômes, des technicités, de toutes les responsabilités, mais aussi des charges physiques et nerveuses. 

La précarité des femmes tient des salaires inégaux pour un travail égal, mais aussi d’autres facteurs : les temps partiels imposés, les horaires atypiques, le temps de travail mesuré en actes, et la difficulté du déroulement de carrière.

Table ronde à quatre voix / Animée par Anna Matteoli

Suite à cette table ronde, deux questions ont été posées :

  • Suite à la crise du covid, des garde-fous existent-ils pour que la situation des femmes ne se dégrade pas lors d’une prochaine crise ?

Les intervenantes évoquent plusieurs possibilités : continuer la lutte, partager les infos ; faire pression sur la politique publique (pour demander par exemple que des données genrées soient collectées lors des enquêtes publiques) ; élire des gouvernements progressistes ; réunir les ministres des droits des femmes au niveau européen voire international ; former les décideurs. 

La question des droits des femmes est une question sociale. Porter une politique féministe ne peut pas suffire sans porter également la lutte des classes.

  • Quelles sont les actions simples pour améliorer les droits des femmes de manière structurelle ?

Le point de départ de toutes les actions doit être l’éducation. Aussi, faire signer des propositions aux candidat·es et faire des actions en justice s’iels ne les respectent pas est une solution évoquée. Enfin, la place importante des syndicats dans les luttes féministes est mise en avant, avec un mot d’ordre : syndiquez-vous !

Table ronde : Nouvelles dynamiques partenariales et retours d’expériences dans la prise en charge des femmes victimes de violences / animée par Françoise Poujoulet

Pendant le premier confinement, le 3919, numéro pour les femmes victimes de violence, a enregistré 45 000 appels, dont 29 000 en avril – soit 3 fois plus d’appels que d’ordinaire.

Il y a cependant eu pendant cette période une continuité de l’action des services sociaux et des associations, comme par exemple : 

  • un plan de lutte contre les violences faites aux femmes en période de confinement a été mis en place par le gouvernement depuis le 30 octobre 2020,
  • l’association SOS femmes solidarité a mis en place de nombreuses places d’hébergement d’urgence, surtout dans des hôtels. Entre 60 et 80 femmes et enfants en situation d’urgence ont pu bénéficier de ce service. La question des repas et du linge se posait, et c’est l’association qui a mis en place une buanderie et une cuisine dans leurs locaux. Il y a également eu la mise en place d’une continuité pédagogique, tant en termes de matériel (accès à des ordinateurs, à internet, à des imprimantes, etc.) que de formation (informatique, français langue étrangère, etc.)

Anne-Cécile Mailfert, dans son intervention Quelles perspectives pour les droits des femmes dans le « monde d’après » ?,  fait en quelque sorte une conclusion de la journée. Celle-ci a été l’occasion de se rendre compte que nous évoluons dans un monde d’hommes. Quatre points fondamentaux sont à retenir en ce qui concerne les violences sexistes : le caractère massif de ces violences, la cristallisation de ces problématiques en temps de crise, le monde de violences qui est légué aux enfants… Mais également l’espoir de démocraties qui donneraient leur place aux femmes.

Les actes du colloque seront disponibles à la Médiathèque Olympe de Gouges à Strasbourg. 

Femmes et Wikipédia : mois de la contribution francophone

Le 1e mars a marqué le début du Mois de la contribution francophone sur la plus grande source d’information du monde, Wikipédia. Hier, le lundi 8 mars 2021, nous avons fêté la Journée internationale des droits de la femme. Vous le savez probablement déjà car les médias en parlent de plus en plus, mais au cas où, 18 % des pages biographiques sur la Wikipédia francophone portant sur les femmes. Lëa-Kim Châteauneuf, présidente de Wikimédia Canada, a récemment dit au média Ricochet que « Selon les données et les lieux, on évalue à 10 % ou 20 % maximum de contributions de femmes. Le portrait des wikipédiens est majoritairement homme, jeune, blanc avec un certain niveau d’éducation et un certain salaire, ce qui fait que ces gens-là ont plus de temps de disponible. Comme c’est du bénévolat, ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre ça ». L’absence des contributrices a sans doute une relation avec le petit pourcentage de pages biographiques sur des femmes. L’article Wikipédia qui porte sur son biais de genre offre une bonne introduction à sujet.

Croissant boréal

Heureusement, l’état du contenu des femmes s’améliore. Les médias en parlent de plus en plus et des groupes se forment pour contribuer à combler ce fossé. Tout récemment, un groupe francophone s’est formé dans le nord du Québec et de l’Ontario, le WikiClub Croissant boréal qui s’intéresse aux fossés dans Wikipédia dans un contexte géographique (voir l’article du média Ricochet). En France, le groupe les Sans pagEs, de plus en plus connu, existe depuis juillet 2016 et vise à « lutter contre les déséquilibres de genre sur les articles de l’encyclopédie » (en savoir plus).

Que pouvons-nous faire, les bibliothécaires ?

Logo « Mind the Gap » de Wikipédia

La réponse est simple, contribuer à Wikipédia en tirant profit de nos collections et nos expertises professionnelles. Nous, les bibliothécaires, avons tous les outils nécessaires pour contribuer à combler le fossé de genre sur Wikipédia.

Mais concrètement, que pouvons-nous faire ?

  1. Améliorer des références qui existent déjà sur Wikipédia par l’ajout de nouvelles références et l’ajout de nouvelles phrases et paragraphes (en tirant profit des collections de nos bibliothèques);
  2. Traduire des articles d’autres vers le français;
  3. Organiser des ateliers de démystification de Wikipédia et d’introduction à la contribution à Wikipédia;
  4. Corriger des fautes d’orthographe, simplifier des tournures de phrases ou corriger des fautes de ponctuation;
  5. Faire des partenariats avec des groupes ou associations et faire des activités autour de Wikipédia à sa bibliothèque;
  6. Faire un partenariat (si on est en enseignement) avec un·e professeur·e et incorporer un devoir Wikipédia dans cours (pour en savoir plus, visiter la page des projets pédagogiques sur Wikipédia).

Il se peut que contribuer à Wikipédia semble difficile et même faire peur, mais il existe plusieurs groupes francophones à travers la francophonie qui sont prêts à vous accueillir et vous aider à amener Wikipédia dans vos bibliothèques.

Groupes Wikipédia qui luttent contre le fossé des genres

Lectures sur le fossé des genres sur Wikipédia

Pour en apprendre plus sur le fossé des genres sur Wikipédia, voici une petite sélection d’articles qui pourraient vous intéresser :